Se rendre au contenu

Stromboli


La vie au rythme du volcan


L’appel du feu

Le lendemain, Angelo me propose de tenter l’aventure principale du Stromboli… L’ascension jusqu’au sommet volcan ! Secouriste en montagne, il travaille souvent sur l’Etna et le Stromboli et connaît donc très bien l’équipe de guides. Je m’intègre au groupe d’Antonio, chargé de mener les touristes jusqu’aux cratères.

La montée est éprouvante. Les battements de mon cœur résonnent si fort dans ma tête que je crois m’évanouir à plusieurs reprises. Je sue comme un bœuf, souffle comme un bœuf et me sens aussi lourde qu’un bœuf. Un vrai bœuf, en somme !

Plus nous nous éloignons du village, plus le paysage se dégage et se durcit. Les maisons blanches se tassent derrière nous. Au loin, la mer prend toute la place. Le vent forcit, soulevant des grains de sable qui viennent picoter mes mollets. Là où passent les marcheurs, le sable gris noircit. Pensant sentir de l’humidité, je me baisse et en saisis une pincée. Il n’est pas humide, il est chaud… Très chaud ! Comme si la chaleur réveillait sa couleur. Lentement, le volcan commence à parler.

Nous montons, montons encore. À l’approche du sommet, chaque rafale efface nos traces. Le guide règle l’allure, contrôle les pauses, surveille les fronts qui perlent de sueur. À droite, la raideur de la pente donne le vertige. À gauche, quelques arbustes bravent l’environnement désolé de scories et de cendres. Les minutes s’étirent et je perds toute notion du temps. Au loin, je perçois un grondement. Les explosions sont de plus en plus fortes, de plus en plus fréquentes. Elles roulent sous la terre, remontent dans les jambes, finissent en battements dans la poitrine. Mon sang devient lave, le rythme me traverse. L’île frappe sa lente cadence dans mes tempes.


Au bord du gouffre

Alors que la nuit tombe, j’aperçois enfin la lèvre du cratère. Après avoir enfilé des vêtements chauds et des masques pour protéger nos poumons de la poussière, nous nous asseyons à même le sol et observons. À nos pieds, le paysage est vivant. Les trous béants s’illuminent, d’abord d’un rouge timide, puis de jaune et orange flamboyants. Au vacarme des explosions se superpose les gerbes d’étincelles. Tel un flot de sang, la lave jaillit des entrailles du volcan. Malgré la distance, je sens sa chaleur sur mon visage. Cela atténue un peu le froid mordant de la nuit.

Le guide nous tend de minuscules cristaux noirs. « Des cadeaux du volcan », murmure-t-il dans un sourire. Des fragments vitrifiés, encore un peu rugueux. Avec précaution, je glisse le mien dans ma poche. Personne n’ose parler, la nuit absorbe les voix. Ici, seul le Stromboli a la parole. Le souffle des éruptions impose son rythme régulier, comme un cœur battant. Nous restons longtemps à contempler les cratères. Mais le temps se comprime et, déjà, il faut repartir. À contrecœur, je me lève pour suivre le groupe avant de me laisser happer par la pente devant moi.


Glissade sous la Voie lactée

Sacs au dos, lampes au front, nous entamons la descente. La pente est raide, ensablée, mouvante. Le sable et les cailloux s’infiltrent dans les chaussures, les yeux, le nez, les cheveux. À chaque pas, mes pieds s’enfoncent. Le flanc du volcan semble vouloir m’avaler tout entière.

Nous faisons une pause. Le guide nous demande d’éteindre les torches. D’abord, on ne voit rien. C’est le noir complet, nos yeux encore éblouis par les faisceaux de nos lampes. Et, peut-être, encore un peu par le spectacle du Stromboli. Puis, petit à petit, le ciel s’ouvre à nous. Les constellations et la Voie lactée apparaissent, se devinent seulement, puis prennent du relief. À présent, ce sont elles qui m’éblouissent. Jamais je ne me suis sentie aussi proche des étoiles. À l’horizon, les côtes italiennes et siciliennes étirent leur guirlande de villes et de ports dont le reflet vacille sur la mer. Dans le silence, on pourrait presque entendre la rumeur des ferries.

Nous rallumons les torches. Le groupe se reforme et la poussière se remet à voler. Chacun reprend sa place dans la file et glisse au rythme de la montagne.

Je quitte le groupe devant la pharmacie. J’ai encore sur les lèvres le goût minéral du vent, le goût du sable et des cendres. Je marche seule jusqu’à la Lampara. Je m’endors bien vite, épuisée, des étincelles plein les yeux.